Éducation sanitaire

Trump fait classer le fentanyl comme arme de destruction massive

En classant le fentanyl illicite comme arme de destruction massive, Donald Trump et son administration militarisent un dossier avant tout sanitaire. La mesure est soutenue par une dangereuse rhétorique glissante et risque d'avoir des conséquences internes et internationales contre-intuitives pour qui gère la santé comme un champ de bataille...

Donald Trump fentanyl
© The White House

« Plus proche d'une arme chimique que d'un narcotique » : c'est en ces termes que le président américain Donald Trump qualifie le fentanyl, en amorce de son 221e décret présidentiel depuis son retour à la Maison Blanche. À cette occasion, il pulvérise à la sulfateuse (pour rester dans le jargon militaire) son propre record de décrets signés pendant un mandat présidentiel (220 en quatre ans lors de son premier mandat ; ce 221e décret est intervenu la semaine dernière alors que son second mandat n'a pas encore soufflé sa première bougie).

« En tant que Président des États-Unis, mon plus haut devoir est de défendre le pays et de ses citoyens. En ce sens, je classe, par la présente, le fentanyl illicite et ses précurseurs chimiques comme armes de destruction massive ("weapons of mass destruction, WMD" dans le texte original). » Dire que les États-Unis entrent en guerre contre le fentanyl tient de la formule journalistique vue et revue et ne rend pas encore assez compte de la militarisation prévue par Washington dans cette lutte : implication du ministère de la guerre, mise à jour des forces armées, mobilisation massive du renseignement... (lire encadré ci-dessous). Discrètement cachée derrière une formule juridique, il est notamment demandé de faire appliquer à l'utilisation, la menace d'utilisation et à la conspiration pour l'utilisation du fentanyl illicite le droit américain concernant les armes de destruction massive, notamment l'article 18 du Code des États-Unis, qui prévoit à ce titre des peines extrêmement lourdes, jusqu'à la perpétuité ou la peine de mort.

Rhétorique glissante

Pour justifier la classification du fentanyl illicite comme arme de destruction massive, le président Trump use de chiffres et d'images qui parlent aux américains : « Deux milligrammes de fentanyl, soit une dose presque indétectable, équivalente à 10 à 15 grains de sel de table, constitue une dose léthale. Des centaines de milliers d'américains sont morts d'overdose de fentanyl. » Puis, subitement, l'usage du fentanyl est mis de côté et la menace transite du côté de ses producteurs et distributeurs : « Les deux cartels qui sont principalement responsables de la distribution de fentanyl aux États-Unis se livrent à des conflits armés pour le contrôle de territoires et pour protéger leurs opérations, ce qui entraîne des violences et des morts à grande échelle qui vont au-delà de la menace immédiate du fentanyl lui-même. »

Drug spoon drogue cuillère
© RenoBeranger sur Pixabay

Et puis, le glissement rhétorique, qui ne s'est pas fait longtemps attendre : « De plus, le potentiel du fentanyl à être transformé en arme pour des attaques terroristes concentrées et à grande échelle par des adversaires organisés constitue une menace sérieuse pour les États-Unis. » Un scénario hypothétique posé comme une menace sérieuse établie, sans fournir de preuve d'incidents réels ou de complots déjoués.

Sans nier que le contexte de production et de distribution du fentanyl est gravement problématique aux États-Unis, on ne peut que constater la pente glissante vertigineuse opérée entre cette situation et l'utilisation du fentanyl, qui est la principale et sur-dominante raison des décès liés à la substance. En la catégorisant "arme de destruction massive", Trump et son décret passent sous silence le fait que la majorité des décès surviennent par usage volontaire, et non par d'hypothétiques attaques délibérées avec une arme.

C'est là que se situe une grave confusion conceptuelle : les armes chimiques sont définies par leur intention d'usage (intimider une population, influencer un gouvernement, etc.), pas uniquement par leur toxicité. La toxine botulique est létale à faible dose : verra-t-on demain la Maison Blanche ajouter le botox à la liste des armes de destruction massive, entre la bombe à hydrogène et le gaz sarin ? La rhétorique utilisée ici semble conçue pour justifier une (nouvelle) réponse militarisée plutôt que de décrire objectivement la nature du problème de l'addiction au fentanyl.

Criminaliser risque de tuer

Vanda Felbab-Brown
Vanda Felbab-Brown   © Brookings

Pour l'experte en conflit internationaux et internes Vanda Felbab-Brown, également spécialiste de la crise des opioïdes en Amérique, désigner le fentanyl comme arme de destruction massive est une erreur. Pour elle, la mesure s'inscrit dans une politique antidrogue conçue comme sécuritaire et militarisée, centrée sur la répression de l'offre, au détriment de l'accès au soins. Basculer dans le droit américain sur les armes de destruction massive pourrait, contre-intuitivement, coûter la vie de consommateurs américains : « La désignation comme arme de destruction massive pourrait entraîner un alourdissement des peines pour les dealers de drogue, y compris la peine de mort pour les dealers dont les doses conduisent à des overdoses mortelles », explique-t-elle.

« Soumettre les dealers de rue à la peine de mort au titre d’accusations liées aux armes de destruction massive pourrait les dissuader d’appeler le 911 lors d’une overdose d'un proche. »
- Vanda Felbab-Brown

« En effet, de nombreux dealers sont, en réalité, eux-mêmes des usagers de drogue - par exemple des lycéens et des étudiants - qui donnent à leurs amis une partie de leur propre approvisionnement en drogue contaminée, lesquels font ensuite une overdose. Les soumettre à la peine de mort au titre d’accusations liées aux armes de destruction massive n’aurait guère de sens et pourrait les dissuader d’appeler le 911 lors d’une overdose. Les usagers pourraient avoir peur d’acheter de la naloxone, qui inverse les overdoses. »

Frappes au Mexique, cibles en Chine... vers des tensions internationales ?

« Le président Donald Trump appelle à la peine de mort pour les dealers de drogue de rue, alors même qu’il a gracié certains des trafiquants de drogue les plus notoires et de plus haut niveau, dont un acteur-clé qui a facilité les activités du cartel de Sinaloa (désigné organisation terroriste étrangère par l'administration Trump, NdlR. »

Toujours parce que le cartel de Sinaloa reste dans le viseur, Vanda Felbab-Brown craint un impact sur les relations internationales : « La désignation comme arme de destruction massive permet désormais à l’administration Trump d’inculper des membres et des soutiens du cartel de Sinaloa et du CJNG pour terrorisme lié aux ADM. Ceux qui plaident pour que l’armée américaine frappe les deux cartels au Mexique - une option à laquelle Trump a dit être ouvert - se sentiront également confortés par cette désignation. Il existe également une possibilité que cela encourage l'administration Trump à élargir l'éventail de ses cibles militaires potentielles au-delà des cartels et de leurs laboratoires au Mexique, jusqu'au Guatemala, à l'Inde et à la Chine (points de transit pour la contrebande de précurseurs du fentanyl), et à potentiellement traiter ces pays comme des cibles militaires. »

Cinq mesures de Washington pour lutter contre le fentanyl illicite

Le décret donne pour mission aux directeurs des départements et agences concernés de prendre les actions appropriés pour l'implémenter cette décision et éliminer la menace, y compris :

(a) Des poursuites pénales : Le procureur général doit immédiatement engager des enquêtes et des poursuites sur le trafic de fentanyl, notamment en recourant, le cas échéant, à des chefs d’inculpation pénale, à des aggravations de peine et à des variations de peine.

(b) Des confiscations fiscales : Le secrétaire d’État et le secrétaire au Trésor doivent prendre les mesures appropriées en visant les avoirs concernés et les institutions financières impliquées, à l’encontre de ceux qui participent à la fabrication, à la distribution et à la vente de fentanyl illicite et de ses principaux précurseurs chimiques, ou qui les soutiennent.

(c) Le ministère de la guerre pour faire appliquer des sanctions... jusqu'à la peine de mort : Le secrétaire à la Guerre et le ministre de la Justice doivent déterminer si les menaces posées par le fentanyl illicite et leurs effets sur les États-Unis justifient la mise à disposition de ressources du Department of War au Department of Justice afin d’aider à l’application du titre 18 du Code des États-Unis (le droit américain sur les armes de destruction massive, notamment cet article 18, prévoit des peines extrêmement lourdes (jusqu’à la perpétuité ou la peine de mort) pour l’usage, la menace et la conspiration autour des armes de destruction massive.

(d) Une préparation des forces armées : Le secrétaire à la Guerre, en consultation avec le secrétaire à la Sécurité intérieure (Homeland Security), doit mettre à jour toutes les directives relatives à la réponse des forces armées aux incidents chimiques sur le territoire national afin d’y inclure la menace du fentanyl illicite ; et

(e) Une utilisation accrue du renseignement : Afin de garantir que les États-Unis utilisent l’ensemble des outils appropriés de lutte contre le fentanyl, le secrétaire à la Sécurité intérieure doit, conformément au droit applicable et en coordination avec les responsables des agences concernées lorsque cela est approprié, identifier les réseaux de menace liés à la contrebande de fentanyl, en s’appuyant sur le renseignement relatif aux armes de destruction massive et à la non-prolifération, afin de soutenir tout l’éventail des opérations de lutte contre le fentanyl.

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Écrit par François Hardy23 décembre 2025
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