Anne Gillet, présidente du GBO (interview intégrale) : "Le combat pour la MG n'est pas terminé"
"Toujours à contre-courant, le GBO est parvenu à la faveur d'élections médicales démocratiques, à imposer tant que faire se peut l'agenda des médecins généralistes au système de soins en silo et à la médico-mut", estime la nouvelle présidente du GBO (Cartel). Mais la première ligne généraliste a encore beaucoup de chemin à faire avant de se faire entendre complètement. C'est le message qu'Anne Gillet veut faire passer dans cette interview exclusive qu'elle a accordée au Jdm en compagnie du Dr Paul De Munck, attaché à la présidence du GBO.
-Le Journal du médecin : Les Mutualités socialistes font un véritable plaidoyer pour la DCI. Selon un calcul maximaliste, une prescription systématique en DCI économiserait 190 millions à la sécu chaque année. Qu'en pense la présidente du GBO ?
Dr Anne Gillet : Le GBO a toujours été favorable à la DCI. Mais, par expérience, nous devons nuancer : nous disons oui à la DCI en commençant le traitement. Ensuite, principalement chez les patients âgés, nous devons être prudents pour qu'ils ne prennent pas, par exemple, deux " lormétazepam " différents en même temps. Ils ont reçu une boîte verte puis une bleue. Ils risquent de confondre ou de cumuler. Notre job de MG est de prescrire une molécule. Si le patient a commencé avec une marque, je continue en principe avec cette marque. Mais je pense que, actuellement, les médecins sont trop impliqués dans le prix des médicaments alors que ce n'est pas leur job. Notre travail est de prescrire la molécule la plus adéquate. L'Etat doit pouvoir régler la question du prix pour nous décharger de ce travail d'experts en prix du médicament. Je propose par exemple qu'on rembourse toutes les amoxicillines au même prix. Ainsi, le médecin ne devrait pas s'en préoccuper. Par ailleurs, dans les traitements aigus, qui sont, par définition, courts, il n'y a pas de souci : on démarre en DCI.
-Et si le patient a commencé avec l'original ?
-Dans ce cas, je serais plus nuancée : actuellement, si je constate qu'un original a diminué son prix au niveau du générique, je prescris l'original. Par contre dans le cas d'un original beaucoup plus cher, je lui explique qu'il existe une variante générique meilleur marché. S'il accepte, nous continuons avec le générique. Je fais donc une seule fois la démarche.
-Vous parlez des personnes âgées, l'étude en question constate qu'elles sont beaucoup plus attachées à la marque originale et craignent les génériques...
-En fait, ce n'est pas tellement qu'ils sont attachés à la marque... Le problème est le suivant : si je commence un traitement anti-hypertenseur, il évident qu'ils ne connaissent pas ses différentes alternatives. Si je prescris en DCI, ils s'habitueront au nom de la molécule. Par contre, s'ils prennent un médicament depuis 20 ans, c'est plus compliqué. Dans le cas où ils prennent plusieurs médicaments (parfois une dizaine ou plus, NDLR) dont certains sont très chers, je modifierai un à un la prescription pour ne pas les perturber. Mais, à la réflexion, ce n'est quand même pas l'essence de notre job.
-Dr Paul De Munck : L'acteur principal dans cette l'histoire, c'est le patient. Le médecin peut-être convaincant, car nous avons un rôle d'information à propos des alternatives, mais le patient garde le libre-choix.
-AG : Si le patient est déçu du générique car il ressent une moindre efficacité du traitement, alors là c'est plus compliqué. Mais s'il commence par une prescription en DCI, le problème n'existe pas, parce qu'il n'a pas de point de comparaison.
-Vous avez donc le sentiment que ce n'est pas totalement équivalent ?
-AG : les études de bioéquivalence démontrent que cela peut être mieux ou moins bien... C'est pourquoi il faut choisir une marque et rester avec cette marque.
-A cet égard, il faut noter que l'exception thérapeutique est très peu utilisée...
AG : C'est normal. Personnellement, je ne me battrais pas pour revendiquer une exception thérapeutique concernant les antibiotiques : à partir du moment où je prescris de l'amoxicilline, je ne vais pas préciser la marque originale à tout prix. Je n'en vois pas la raison.
-Il me semble pourtant que les syndicats se sont battus pour qu'on amende la loi en ce sens...
-AG : En fait, dans les traitements aigus, il n'y a pas de réel problème. Dans les traitements chroniques, cela peut apporter une confusion et donc une iatrogénicité. Là je vais me battre. Toutefois, il est évident que je ne me mets pas en porte-à-faux par rapport au patient qui refuse tout générique. J'use de pédagogie. A nouveau, l'Etat devrait changer les règles du jeu avec le même prix pour tous les mêmes types de molécules. Ou qu'on utilise le système Kiwi... Ce qui est important c'est que je ne veux pas que les médecins soient pénalisés parce qu'ils ne prescrivent pas assez de génériques.
-Le patient, lui, est pénalisé...
-Oui mais c'est son choix. N'oublions pas que nous lui expliquons plusieurs fois le coût du traitement pour lui et la collectivité.
-Et que pense le GBO des quotas de bon marché?
-Nous les avons acceptés parce que peu de gens refusent les génériques et parce que c'était atteignable pour les MG. Si cela devenait irréaliste, nous serions contre.
-Il n'y a donc pas d'atteinte à la liberté thérapeutique ?
-Non puisqu'on a le choix de la molécule... D'autant plus qu'il y a de plus en plus de génériques fabriqués par des firmes de médicaments originaux. J'apprécie par ailleurs que le prix global des médicaments ait baissé.
-Passons au budget : pourquoi vous vous êtes abstenus au comité de l'assurance?
-Ce fut en quelque sorte un " oui mais ". Nous constatons que les réadmissions " non justifiées " en hôpital se poursuivront et l'utilisation du tarif journalier lié à des paramètres indépendants de la pathologie traitée nous déçoit. Les économies appliquées ne récompensent pas toujours les traitements les plus innovants comme les dialyse à domicile. Pour nous, il est important que les compteurs des forfaits historiques soient remis à zéro. Le manque de réaction du conseil technique médical face à des propositions d'utilisation plus efficiente des ressources nous laisse pantois.
-Vous sentez-vous bypassés en médico-mut face aux économies décidées alors que l'encre de l'accord est encore sèche?
-AG : Difficile à dire. En médico-mut, nous parlons de répartition des ressources. En première ligne, nous pouvons être relativement satisfaits. Ce qui nous gêne, ce sont les économies linéaires. On a très clairement déterminé les abus de certains prestataires et on a l'impression qu'on paie collectivement pour leurs abus. Ce n'est pas normal. Ce sont des mesures aveugles. Nous n'aimons pas ce qui est linéaire, que ce soient des économies ou des valorisations. Lors des premières médico-mut auxquelles j'ai assisté il y a 15 ans, on a toujours connu des valorisations linéaires au détriment de la médecine générale. L'action du Cartel, depuis le début de l'ère des élections, a été de casser ce mécanisme et ainsi d'obtenir des moyens pour le DMG et les honoraires de disponibilité. Pour les économies, c'est la même chose : il faut sanctionner les personnes qui ne travaillent pas bien et pas les autres. Par ailleurs, chaque fois qu'il y a des baisses de prix linéaires, il y a augmentation des volumes. C'est donc un souci important.
-PDM : C'est ce qui est demandé par le Modes (Le Monde des spécialistes, Cartel, NDLR) !
-Justement, que devient le Modes lancé récemment ? On ne parle plus beaucoup des rapports conflictuels entre MG et spécialistes...
-AG : Les élections ont tout changé. Avant les élections, nous n'avions pas droit au chapitre et l'Absym représentait, de façon arbitraire, tous les médecins dans les négociations avec les mutuelles. Ça a duré 40 ans qui ont mis la médecine générale à genoux... On était remontés contre ce système et donc contre les spécialistes car l'acte technique s'était imposé au détriment de l'acte intellectuel, l'outil principal des MG. Les élections sont arrivées ensuite... Aujourd'hui, nous pouvons nous repositionner comme complémentaires aux spécialistes. Si ce n'est l'inverse ! Donc, ce budget-ci revalorise la MG. Mais comme disait Philippe Vandermeeren (ancien président du GBO, NLDR), on est encore au milieu du gué. Regardez ce qui se passe au niveau des gardes et de l'attractivité de la MG et du quota MG/MS à la sortie des études.
-PDM : De plus en plus de spécialistes sont d'accord avec cette approche. Mais ils n'avaient pas l'occasion de l'exprimer et de dialoguer sur un autre terrain que la rivalité entre MG et MS. Avec le Modes, ce sera possible. Des spécialistes se rendent compte que cette complémentarité n'est pas évidente au niveau des dossiers, des débriefings. Mais il y a un changement de mentalité. On n'est plus dans l'opposition totale. On entre dans une autre ère.
AG : Il faut dire que c'est aussi la crise [qui a aidé]! Les endocrinologues nous ont redonné la place quand ils ont été dépassés par l' " épidémie " de diabète ! Auparavant, tout a été organisé pour by-passer le généraliste ! Le remboursement des tigettes était réservé aux seuls endocrinologues. Tout était donc organisé pour que les patients aillent en convention du diabète. Les MG ont perdu leur suivi et par conséquence ont perdu une part de leurs compétences concernant le diabète. Donc on était très en colère. Et puis, face à cette épidémie, les MG ont été remis en selle et les trajets de soins ont été inventés. C'eût été plus simple de permettre aux MG gérer de façon autonome les diabétiques de type 2 et le début de leur insulino-requérance, avant le nécessaire recours au MS.
-PDM : Il y a encore beaucoup de travail avant que la Première ligne soit réellement favorisée. On ne peut pas continuer comme ça ! Comment éduque-t-on les médecins dans le curriculum pour qu'ils apprennent à être complémentaires dans un système de soins ? Et cela malgré les DUMG, CAMG qui ont fait des avancées considérables... Que prévoit à cet égard le cursus des spécialistes ? Quand je lis dans le Jdm Johan Van Wiemeersch dire que le gynécologue est le médecin de première ligne des femmes, où va-t-on ? Bien sûr, je ne dis pas qu'il est mal intentionné !
-AG : C'est impressionnant ! Donc, à l'entendre, les femmes n'ont pas d'yeux, pas d'oreilles, pas de cerveau, pas d'estomac ? Elles n'ont que des seins et un utérus ?
-PDM : Par ailleurs, j'observe que les spécialistes ont de plus en plus de problèmes parce qu'ils sont de plus en plus spécialisés. J'ai lu que certains plaident pour que le spécialiste reste hol-lis-ti-que ! C'est quoi un spécialiste holistique ? Je pense donc que le Modes va ouvrir des portes pour mieux collaborer entre MG et spécialistes. Le GBO a toujours prôné le retour aux médecins internistes généraux, partenaires essentiels à l'hôpital pour le MG.
-AG : A Bruxelles, que je connais bien, il y a des listes d'attente impressionnantes pour la médecine spécialisée, surtout hospitalière. Il faut six mois pour avoir un endocrinologue, par exemple. J'essaie d'obtenir un rendez-vous pour une hyperthyroïdie ; par contre, du même endocrinologue, je reçois un rapport de suivi d'une hypothyroïdie simple alors que ça c'est mon job de MG. Donc, noyés dans les demandes typiques de médecine générale, les endocrinologues n'ont plus le temps de traiter des cas complexes rapidement. De même, je vais devoir traiter une salpingite mais les gynécologues font des frottis... C'est le monde à l'envers. Ou alors je dois passer ma vie au téléphone pour obtenir un rendez-vous rapide et là, je dois le reconnaître, les spécialistes sont très collaborants pour accéder à ma demande !
-PDM : On peut parler de culture. Mais c'est aussi le système de remboursement qui doit changer. Car si le business modèle est contre le changement de culture, ça ne marche pas.
-On parlait de l'attractivité, les pénuries, l'aspect repoussoir des gardes, tout cela est lié. Je crois que le GBO a beaucoup à dire sur les gardes...
-PDM : Et il se dit beaucoup de choses sur les gardes ! Quand on lit les échanges sur les forums...
-AG : Nous avons énormément travaillé sur la réorganisation des gardes (postes de gardes et alternatives)... Le GBO n'a pas attendu le dramatique événement de cette fin d'été (l'agression du MG de Péruwelz, NDLR) pour mobiliser toute son énergie à la problématique de la garde.
Depuis bientôt trois ans en effet, le GBO a été en première ligne pour faire évoluer les esprits (et les budgets) au sein de la médico-mut. C'est sous notre inlassable insistance que le Groupe de travail " Gardes " qui travaille sous la tutelle de la médico-mut a (elle énumère) :
- standardisé les frais de fonctionnement des PMG afin de réduire les inéquités existantes ;
- élargi la mission de ce groupe de travail gardes à toutes les alternatives de garde autre qu'un PMG, avec financement à la clé.
- obtenu du financement pour des projets-pilote de garde de semaine.
- fait intégrer le troisième banc aux réflexions de ce groupe de travail Gardes (avec voix consultative).
- accepté que les honoraires de disponibilité économisés - grâce à une organisation autre de la garde - soient réinjectés dans le budget " gardes " (la rigueur comptable aurait entraîné une perte sèche pour la MG de ces honoraires de disponibilité économisés).
-C'est peu connu du grand public médical...
-AG : Il s'agit d'un combat obscur et peu médiatisé, certes auprès des instances inamiennes et nous l'avons poursuivi en parallèle auprès de nos confrères francophones. Nous les avons régulièrement tenus informés, soit via des réunions plénières à notre initiative, soit via le FAG, soit via email, soit encore en se rendant dans les régions de nos confrères ayant des projets de réorganisation de leur garde.
Comme nous l'avons communiqué, nous sommes enchantés que notre ministre de tutelle a bien perçu l'ampleur du problème. C'est un défi majeur qu'on doit relever et gagner. Sinon la MG va périr lentement. Première critique : pourquoi a-t-on laissé si longtemps les quotas du contingentement dériver pour atteindre au final un rapport 25/75 au bénéfice de la médecine spécialisée ? Pour une première ligne forte, il faut une main-d'oeuvre. Sera-t-on encore capables d'assumer un échelonnement (non contraignant !) des soins dont on a besoin ? La garde est donc un sujet phare au niveau de l'attractivité. Deux : on est enchanté que la demande de suppression de la nuit noire ait été modifiée en " allègement " de la nuit noire et sa suppression là où l'environnement l'impose. Car notre souci est de répondre sur le terrain à des demandes pressantes. Ce boulot rapporte peu mais c'est un service à la population que nous devons maintenir... en protégeant absolument la santé des MG.
-PDM : La MG doit rester maître de la garde : cela veut dire qu'on doit rester maître de son organisation... mais cela ne veut pas dire qu'on doit imposer à tous de faire des gardes jusqu'à un âge avancé, ou pendant les grossesses ou en nuit profonde quand il n'est plus raisonnable de la faire. Tous ces médecins, jeunes ou de plus de 55 ans qui n'en peuvent plus, il faut les entendre.
-AG : J'ai moi-même accouché prématurément après une nuit de garde, donc je sais de quoi je parle !
-Il faut comprendre l'argument consistant à supprimer cette nuit noire... Certains disent qu'ils ne voient qu'un patient de toute la nuit.
-AG : Nous MG travaillons tout aussi bien toute la journée qui précède et celle qui suit. Qu'on ait vu un patient ou dix, c'est le même problème. Donc, il faut faire en sorte qu'on puisse récupérer. On a imaginé un honoraire de disponibilité pour la garde, il faut imaginer quelque chose pour la récupération... Ainsi que, éventuellement, une prime pour celui qui va gérer la patientèle de celui qui récupère pour encourager la bonne collaboration entre médecins.
-L'insécurité notamment lors des gardes, c'est un vrai problème ou les suites de faits divers, aussi douloureux soient-ils ?
-AG : C'est un vrai problème ! Mais l'insécurité est généralisée ! Une maison médicale en plein centre de Bruxelles a dû soigner un homme qui venait de se faire assassiner devant leur porte. Un jour, je me suis fait attaquer à 17 h 00, ma salle d'attente était pleine et j'ai eu le pistolet sur la nuque pendant un quart d'heure. Nous n'avons pas pour autant arrêté les consultations.
-PDM : Les ambulanciers, les pompiers, les policiers se plaignent... Il n'y a pas que les médecins...
-AG : Et nos patients se plaignent. Si vous saviez le nombre de certificats pour coups et blessures que je fais pour des patients agressés dans le bus et le métro !
-N'est-ce pas surréaliste de voir des médecins avec voiture et chauffeur faire des visites ?
-AG : Je pense qu'on doit augmenter la sécurité dans les cabinets, comme à domicile. Le GBO a fortement aidé le ministère de l'Intérieur pour penser la sécurité du cabinet (cf. la rédaction d'un dépliant ad hoc). C'est parfois assez simple : il faut éviter de se faire piéger, par exemple, si le bureau est placé dans un coin, ce qui empêche la fuite... Une porte doit être ouverte... Bien sûr, contre cinq cagoulés, on ne peut pas faire grand-chose... Je pense que la voiture avec chauffeur est une très bonne idée. Aussi pour le parking et la fatigue. On optimise les trajets... Elle donne entière satisfaction quand elle est mise en place comme à Charleroi. D'ailleurs, dans cette ville, ils avaient engagé des " gardistes " et puis les MG du cru se sont réengagés à faire des gardes. Même les femmes...
-PDM : On peut parler d'une démarche très réussie de la part de l'Etat dans cette affaire car on a écouté le vécu des gens. La ministre a joué un rôle déterminant...
-Justement, la ministre Onkelinx : qu'en pense le GBO ? Un bilan à l'approche des élections ?
-AG : Elle a bien compris le débat. Elle a obtenu un budget pour le tri des appels... Par contre, sur l'échelonnement, on n'a pas avancé...
-Philippe Vandermeeren parlait " d'échelonnement soft ". Qu'en est-il de la nouvelle présidente ?
-AG : Echelonnement soft à la Demotte, non ! Nous voulons une première ligne forte médicale et paramédicale. Le MG gère tout ce qu'il peut puis il demande l'aide de la deuxième voire de la troisième ligne. C'est un système non contraignant car on a besoin de liberté en Belgique. Si un patient passe directement à la deuxième ligne, ce n'est pas un problème à condition qu'on le réfère à la première ligne. Aujourd'hui, le spécialiste réfère de manière horizontale : le pneumologue vers le cardiologue par exemple. Mais trop peu vers nous les MG.
-On en arrive à l'énorme chapitre de l'informatisation et des échanges électroniques de données médicales qui devraient faciliter les relations entre les " lignes ". Après l'ère de la peur de Big Brother, ces nouvelles technologies rentrent dans les moeurs du médecin ?
-AG : Le secret professionnel est primordial. Raison pour laquelle on a refusé à l'époque d'encoder les H1N1. Tant qu'on n'a pas de certitudes par rapport à ça, on reste vigilant. Mais un échelonnement n'est possible qu'avec un échange. Nous voulons donc un DMG partagé mais géré par le MG et qui garantisse le secret médical.
-PDM : Je suis allé voir " mon " médecin traitant récemment et l'ai questionné au sujet de mes données de santé. Il m'a dit : " L'hôpital Saint-Jean a son système, Saint-Pierre a le sien, Saint-Luc aussi : moi, j'abandonne et je retourne vers le papier ! ". La règle des trois clics est loin d'être respectée... Mais les jeunes médecins sont des geeks ; ça va devenir naturel...
-AG : L'information des MG vers les spécialistes, c'est encore très rudimentaire...
-Il y a bien la ehealthbox, beaucoup plus sûre qu'un email...
-PDM : Mais rien ne garantit par exemple que la femme ou le mari du médecin qui a son code d'accès n'aille voir ce qu'elle ne peut pas voir. On ne peut empêcher cela !
-Le deuxième aspect de l'informatisation c'est la simplification. La possibilité par exemple de vérifier aisément le statut d'assurabilité du patient pour le tiers-payant social (TPS) par exemple. Vous y croyez fermement ?
-AG : Absolument. On attend avec impatience MyCarenet sans oser croire qu'il va vraiment démarrer en 2014... En matière de TPS, parlons-en ! Il est clair que l'informatisation va simplifier car aujourd'hui on est prié de faire des TPS avec des patients qu'on ne connaît pas. Ils nous donnent une vignette et on n'est pas du tout sûr de se faire rembourser. Lors de ma dernière garde, un patient sur deux n'avait pas d'argent pour payer, même pas le seul ticket modérateur (TM)... De plus, aucun ne m'a versé la somme du TM, versement pourtant promis avec conviction. Avec un discours " angélique " vis-à-vis de la population, on en vient à des extrémités. J'ai dû convaincre en vain un patient " Omnio " de me payer cinq € pour une visite car on était dimanche et non un € comme on entend partout. Or ce sont des patients qui savent payer cinq €, pas des super-pauvres.
-PDM : Il faut que le système du TPS serve à ceux qui en ont réellement besoin... Mais est-ce au médecin gérer cela ?
-AG : On est en train d'évoluer dans le mauvais sens au niveau des mentalités... Un directeur d'école nous a récemment demandé d'être prudents avec les certificats pour les élèves... Les certificats de complaisance sont rarissimes. Mais lorsque le patient arrive en fin de matinée et prétend avoir vomi toute la nuit, nous faisons un certificat pour ce jour-là. Ce n'est pas de la complaisance. Le directeur m'explique que les élèves se pavanent en disant que " aujourd'hui un certificat, ça coûte un € ! ". Et comme ce sont des gosses de parents Omnio, c'est le cas. Sans TP il leur faut payer 24 €, et se tourner vers leur parents pour se faire rembourser ou discuter anticipativement avec leur parents de la bonne raison d'une consultation... Aujourd'hui, les parents ne sont même plus avertis de la consultation (peut-être tardivement par la facture de la mutuelle). Attention donc au TPS obligatoire. Le médecin doit garder son autorité morale ! C'est ce que j'ai plaidé au Sénat. Mais je n'ai pas été suivie puisque dès que MyCarenet sera opérationnel, nous aurons le TPS obligatoire... Or je le répète, on doit aussi pouvoir dit " non " car c'est aussi pédagogique. Par ailleurs, pour d'autres adolescents, il nous est fort utile d'avoir ce système de TP, lorsque nous devons préserver le secret de leur intimité (et là nous regrettons que la facture de la mutuelle puisse le mentionner).
-En matière de médecines parallèles, on va lentement vers la régulation de l'ostéopathie pour commencer. Mais votre ancien président avait coutume de relever le paradoxe d'exiger toujours plus d'EBM de la médecine " traditionnelle " alors que l'homéopathie refuse de se prêter aux expériences en double aveugle par exemple...
-AG : On ne peut pas faire l'amalgame entre les quatre médecines parallèles. L'ostéopathie est enseignée aujourd'hui à l'ULB. Cette université n'enseigne pas l'homéopathie...
-PDM : Le GBO n'est pas une société scientifique. Nous sommes favorables à des soins optimaux par des médecins de qualité. Ce n'est pas à un syndicat de dire " nous sommes pour ou contre l'homéopathie ".
-AG : Utilisons les RBP puisqu'elles existent et si un médecin veut agrémenter sa médecine d'homéopathie, il est libre de le faire.
-PDM : Par contre, à partir du moment où on décide de rembourser tous les traitements homéopathiques, alors cela devient un débat de santé publique ! Il y aura des débats futurs assez durs pour savoir ce qu'on rembourse et ce qu'on ne rembourse pas ! Là, le GBO a un rôle à jouer... Mais c'est aux sociétés scientifiques de trancher sur l'efficacité. Il y a bien d'autres priorités avant de mieux rembourser ceci ou cela !
-AG : L'iatrogénicité, en revanche, est du domaine d'un syndicat. Car je pense que l'échelonnement par exemple est en mesure de diminuer l'iatrogénicité. C'est organiser les soins de santé avec une amélioration de la qualité des soins. Ce combat-là m'intéresse.
-Plusieurs milliers de MG ont craint un moment se voir retirer l'agrément sous prétexte qu'ils ne font plus de la médecine générale en tant que telle, comme par exemple les " MG hospitaliers " ou des médecins faisant des consultations ONE. Quelle est la position du GBO à ce sujet ? Ils constituent peut-être une main d'oeuvre de réserve en vue d'une pénurie ?
-AG : Le retrait d'agrément en MG permettra de continuer à prescrire des médicaments et des actes techniques complémentaires et donc de continuer le travail spécifique qui est le leur. Nous pensons qu'il serait bon que les médecins à activité spécifique aient une activité mixte : la médecine générale et leur activité particulière (planning familial, toxicomanie...). La médecine de groupe favorise cela. Mais cette idée de mixité des activités n'est pas réalisable pour tous. Nous voulons que ceux qui ne font qu'une activité spécifique et plus du tout de médecine générale puissent récupérer l'agrément en MG rapidement et facilement, s'ils veulent réintégrer la MG. Là encore, la médecine de groupe favorise cette reprise de contact avec la médecine générale. Notre souci, c'est qu'ils ne perdent pas le titre de MG (un pédiatre ne perd jamais son titre) et qu'ils soient honorés correctement pour le travail effectué (honoraires corrects et couverture sociale)... Or ce qui n'est pas systématiquement le cas actuellement. Nous avons avantage à une souplesse dans l'organisation des métiers et dans la capacité d'en changer, ce qui rendra nos métiers (et en particulier la MG) plus attractifs (le KCE confirme cela comme un des moyens de lutte contre le burn out).
-PDM : Tous ces médecins sont utiles en médecine et enrichissent la première ligne dans le système d'offre de soins. Mais ils ne sont plus des MG en tant que tels. Leur peur vient du fait qu'ils pensent qu'ils ne seront plus médecins. Ce qui n'est pas le cas.
-AG : Par ailleurs, un grand nombre d'entre eux, ne perdra pas l'agrément en MG : ils ont reçu une lettre de l'Inami les alertant qu'ils devaient tenir des dossiers médicaux. Or, seuls les DMG sont enregistrés à l'Inami. Donc il leur faudra prouver qu'ils tiennent des dossiers médicaux (non globaux). C'est une simple demande de justification. Idem pour les formations où seule l'accréditation est traçable par l'Inami. Il leur faudra prouver qu'ils se forment par ailleurs.
-L'accréditation justement n'est-elle pas un peu en panne ?
-AG : Du temps de Philippe Vandermeeren, certains, comme lui-même, n'étaient pas accrédités car ils considéraient que les nombreuses lectures qu'ils faisaient valaient formation. Mais à mon avis, étant donné le travail réalisé par la SSMG, l'accréditation est excellente, notamment grâce aux journées ou week-ends ou semaines de formation. Les dodécagroupes sont parfaits pour faire connaissance entre MG et s'échanger nos expériences et diversifier nos contacts confraternels. Ces formations correspondent parfaitement à ma pratique. Tout cela " solidifie " la médecine générale. C'est une belle invention.
-PDM : Imaginez que l'accréditation n'ait pas existé. Les médecins se seraient-ils formés spontanément ? Je ne le crois pas.
-AG : Avec l'elearning, on répond à la critique de Philippe qui voulait qu'on puisse se former chez soi, étant déjà trop sur la route pour la défense professionnelle et si peu dans sa famille. La seule critique que j'ai, c'est qu'on devrait sans doute être payé en fonction du nombre de formations que l'on suit. En second lieu, la valorisation financière à l'acte de l'accréditation ne correspond pas à la réalité de la qualité promue par l'accréditation. Est-ce qu'un médecin qui voit 40 patients par jour est mieux formé que celui qui en reçoit 15 ? Pourquoi est-il mieux honoré globalement ? Le forfait d'accréditation, quant à lui, est ridicule. Il faut l'augmenter.
-Sur l'ancien schisme forfait/acte, le GBO n'est-il pas un peu " ni-ni " ?
-AG : La mixité des paiements, ce n'est pas du ni-ni. Le tout à l'acte a des travers et le tout au forfait en a aussi. Le KCE l'a bien montré. Le GBO veut un financement à l'acte car il promeut l'enthousiasme au boulot et un financement forfaitaire pour rompre une dynamique malsaine de " course " à l'acte et pour soutenir les plus petites pratiques (femmes, débutants, fin de carrière). On a pu implémenter certaines visées de santé publique comme le DMG. C'est une idée du GBO-Cartel. C'est le ministre Vandenbroucke qui nous a accordé son financement. En médico-mut le Cartel ne l'aurait pas obtenu... Le rapport de force nous était défavorable pour l'obtenir. Maintenant, plus personne ne le met en cause. L'honoraire de disponibilité et l'allocation à la pratique qui soutiennent la garde, sont aussi des forfaits que nous avons obtenus pour renforcer la MG. Oui le forfait est intéressant et la mixité du financement, c'est l'avenir.
-Pour les prochaines élections médicales, vous avez pour objectif de récupérer un quatrième siège de MG perdu il y a pas mal de temps déjà ?
-AG : Le SVH est parti il y a huit ans voulant développer une défense professionnelle spécifique pour les MG néerlandophones et s'est abstenu lors des deux élections qui ont suivi. C'est comme ça qu'on a perdu un siège de MG. Le drame c'est que ces MG-là ne sont pas représentés en médico-mut et que la MG a perdu en force de représentation par rapport à la médecine spécialisée. Demain, nous ferons campagne avec nos amis du Modes (Le monde des spécialistes).
-Quelle est votre vraie différence par rapport à l'Absym ?
-AG : Il y en a beaucoup ! La principale est que nous voulons structurer les soins de santé. Il est démontré que cela diminue les dépenses inutiles et le burnout des MG. C'est insupportable de voir débarquer un patient qui a vu je ne sais combien de spécialistes et qui vous dit : " Docteur qu'est-ce que vous pouvez faire pour moi ? ". Le MG doit pouvoir reprendre la main depuis le début de la démarche médicale. La qualité des soins et le bien-être des médecins dépendent d'une bonne organisation des soins et donc de l'échelonnement non-contraignant qui passe par la reconnaissance du travail du MG.
-PDM : Le GBO a des idées d'organisation des soins et pas seulement des propositions relatives à la nomenclature et au partage des honoraires même si c'est évidemment important aussi. Le portefeuille fait partie du bien-être mais pas seulement. La politique du GBO est d'être de tous les combats où se développe la qualité de vie : pour les médecins prioritairement vu notre position de syndicaliste, en concordance avec celle des patients. Nous voulons trouver en outre tous les partenaires qui oeuvrent à la même démarche : la ministre, les partenaires de la médico-mut, les collègues médecins, les mutuellistes. Nous sommes un syndicat de propositions, nous n'avons pas comme objectif de faire des voix coûte que coûte.
-AG : Le GBO a engrangé des succès qui ont été élaborés souvent à contre-courant. C'est le cas du financement mixte, du DMG, etc. Aujourd'hui, personne ne les remet pas en cause. Notre souci, c'est de savoir : quelle est la plus-value de la médecine générale? Il y a des années, en médico-mut, on recevait 13 FB de revalorisation et les spécialistes 250 FB. Ce n'était pas possible ! Donc, sur le seul acte médical, on s'est dit qu'on obtiendrait rien. C'est pourquoi on a proposé des forfaits en arguant sur la plus-value de la MG. Il faut savoir qu'il y a en médico-mut le trend et l'index. Et le budget est calculé en fonction de cela. Les forfaits en MG sont aujourd'hui le seul poste à avoir un trend positif en MG. Car les consultations stagnent et les visites s'effondrent.
-Dans tous ces combats dont vous parlez, qu'est-ce que ça fait d'être présidente et femme ?
-PDM (qui répond à la place d'Anne Gillet): C'est génial ! Elle est ce qu'elle est. Les auditoires sont à 70% femme. Philippe a donné sa vie à la médecine générale mais il y a aujourd'hui un changement de style. C'est bien d'avoir une battante, qui connaît bien l'Inami, une femme de terrain. Je suis un ancien vice-président du GBO. C'est sidérant de voir l'évolution des forums de MG, ça discute dans tous les sens ! C'est passionnant...
(Une version courte de cet entretien paraît ce vendredi 25/10/2013 dans le Jdm édition papier.)