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Lettre ouverte au ministre de la Santé

"D’où vient ce dénigrement profond que vous éprouvez à l’encontre des médecins ?"

Le Dr Patrick De Moor, médecin et entrepreneur au CV très fourni, adresse au ministre de la Santé publique, Frank Vandenbroucke, une lettre ouverte sans concession, trouvant les dernières mesures d'économies sur le corps médical déplacées et injustes. Il cible particulièrement les mutuelles. Il craint que ces mesures ne découragent définitivement de nombreuses vocations.

Dr Patrick De Moor

Le Dr Patrick De Moor
Le Dr Patrick De Moor

Monsieur le ministre,

La Belgique peut se féliciter d’avoir l’une des meilleures médecines au monde. Nos soins de santé sont équitables, accessibles à tous dans des délais plus que raisonnables, laissant le libre choix aux patients de leurs médecins et de leurs hôpitaux, et pas plus onéreux que dans nos pays voisins. Notre médecine est libérale et de qualité, enviée par beaucoup. J’ai eu parmi mes patients une ministre conseillère à la représentation permanente de la Suède à l’Union européenne à Bruxelles et un secrétaire général de la Commission européenne, qui tous deux, étaient profondément admiratifs du fonctionnement de nos soins de santé et le citait en exemple comme modèle à suivre au sein de l’Union européenne.

C’est probablement ces deux termes « médecine libérale » et « de qualité » qui vous exaspèrent, puisque vous préconisez une politique basée sur un modèle communiste où tous les généralistes pratiqueraient, à la chaine, en maisons médicales, imposées aux patients et où les spécialistes deviendraient des fonctionnaires salariés de l’état. Quoi de plus normal pour vous,  que de poursuivre une idéologie politique et économique visant à l’abolition des classes sociales puisque déjà, dans votre jeunesse, vous militiez dans les rangs de la ligue révolutionnaire des travailleurs, la section belge de la 4ième internationale trotskyste [1].

"Tout ce que vous préconisez va à l’encontre de la qualité de notre médecine actuelle. Vous choisissez bien mal votre cible pour tenter de faire des économies..."

Monsieur le ministre, la médecine est un art, que nous, médecins, sommes fiers de pratiquer, à condition d’être libres de l’exercer dans les règles de l’art.

Que connaissez-vous réellement du monde médical, en tant que licencié en sciences économiques ? D’où vient ce dénigrement profond que vous éprouvez à l’encontre des médecins au point de vouloir les asservir et les réduire au silence ? Vous avez pourtant grandi au sein d’une famille de médecins.

Tout ce que vous préconisez va à l’encontre de la qualité de notre médecine actuelle. Vous choisissez bien mal votre cible pour tenter de faire des économies...

Et si vous regardiez plutôt du côté des mutuelles ? Des organismes, qui au départ ne devaient être que de simples intermédiaires entre l’INAMI et le patient, qui aujourd’hui, sont devenus richissimes et totalement obsolètes. Une IA bien programmée ferait parfaitement leur boulot et ne s’enrichirait pas sur le dos des citoyens... Les mutuelles, fortes de leurs plantureux bénéfices, investissent constamment dans l’immobilier et certaines rachètent même des hôpitaux, en incitant leurs affiliés à s’y rendre pour y être mieux remboursés.

Ne sommes-nous pas face à un flagrant  conflit d’intérêt ? Mutuelles secrétaires de l’INAMI / Mutuelles assureurs / Mutuelles propriétaires d’hôpitaux et de chaînes de pharmacies... Et cerise sur le gâteau, elles sont, en plus, exemptées d’impôts. Hallucinant !

"Pourquoi les mutuelles ne participeraient-elles pas au redressement de la dette sanitaire en reversant une partie, voire la totalité des bénéfices indument perçus depuis des décennies ?"

Quand on sait que leurs dirigeants gagnent autant que certains grands chefs d’entreprise et qu’ils se permettent de venir nous faire la morale au JT, en parlant « d’équité sociale », c’est écœurant !

Pourquoi les mutuelles ne participeraient-elles pas au redressement de la dette sanitaire en reversant une partie, voire la totalité des bénéfices indument perçus depuis des décennies ? Cette seule exigence suffirait  à renflouer largement les dépenses de nos soins de santé...

Mais étrangement aucune personnalité politique, à part notre premier ministre, n’ose s’aventurer sur ce terrain dangereusement glissant... Les mutuelles seraient-elles un tremplin pour nos élus ?  Auriez-vous également, Monsieur le ministre, un intérêt à les conserver en l’état et à les enrichir ?

Commencez d’abord par mettre de l’ordre dans cette gigantesque arnaque sociale, sanitaire et financière que sont ces sociétés occultent, que personne ne dénoncent jamais, par peur ou par intérêt, et qui ne cessent de s’enrichir sur le dos des citoyens.

"C'est totalement malhonnête de vendre une assurance à ses affiliés et de leur dire le moment venu : 'surtout ne l’utilisez pas' sinon l’hôpital vous comptera des suppléments."

Avant de vouloir venir récupérer quelques millions sur le salaire des médecins, commencez d’abord par mettre les mutuelles à contribution. Ou mieux encore, supprimez-les purement et simplement ! Nous, médecins,  sommes pourtant le tout premier piliers des soins de santé. « Pas de médecins, pas de mutuelles » ! 

Oui, aujourd’hui l’accès aux soins est équitable pour tous, quel que soit le niveau social des patients. Ils sont libres de prendre, ou non,  des assurances complémentaires. Mais ce qui est par contre, totalement malhonnête est de vendre une assurance à ses affiliés et de leur dire le moment venu : « surtout ne l’utilisez pas » sinon l’hôpital vous comptera des suppléments. Et devinez à qui, une fois de plus, profite le crime ? C’est un peu comme si vous réserviez une suite dans un hôtel et qu‘en arrivant on vous disait : « prenez plutôt la chambre standard ». Sauf que l’assurance, comme la chambre, vous l’avez payée et donc vous y avez droit ! Tout cela fait partie d’une incroyable manipulation, jouant sur la crédulité des gens et pointant du doigt  le médecin cupide qui demande un supplément. Le parfait bouc émissaire...

Une autre piste à creuser est celle des « BIM » et « des malades de longue durée ». Revoir la façon dont vous distribuer, à tort et à travers, certains statuts BIM : « sans salaire » ne signifiant pas « sans revenu ». Et la gratuité des soins en médecine est à proscrire, sauf cas extrêmes. Elle engendre inévitablement la surconsommation et creuse encore un peu plus le déficit. Combien de patients BIM ne prennent-ils pas rendez-vous chez plusieurs spécialistes en même temps, juste parce c’est gratuit ? Quant aux malades de longues durée, il est grand temps qu’ils soient suivis de plus près et remis au travail dès que possible... La complaisance dans ce domaine est manifeste et néfaste pour le patient. Pour beaucoup, l’inactivité entretient la maladie. Il est tout de même étonnant de constater que depuis que les conditions du chômage se sont durcies, un certain nombre de personnes concernées sont subitement passées du statut  « chômeur longue durée » à celui de « malade longue durée ».

"Vous allez engendrer une démotivation complète des médecins encore actifs et un désintéressement croissant pour la profession, des futurs médecins."

Jamais, monsieur le ministre, les médecins belges n’accepteront d’être traités comme vous le préconisez, à la façon d’un « étatisme dogmatique ». Vous allez engendrer une démotivation complète des médecins encore actifs et un désintéressement croissant pour la profession, des futurs médecins.

Le résultat de votre politique sera désastreux pour nos concitoyens avec une carence médicale  qui ne cessera de s’accentuer dans les années à venir. Pourquoi faire autant d’années d’études d’une telle difficulté, pourquoi se pourrir la jeunesse à travailler comme un acharné pendant 9 à 15 ans, pour in fine se retrouver à travailler comme fonctionnaire d’état ?

Monsieur le ministre, de toute évidence, vous n’avez pas cherché à comprendre la complexité de notre profession, l’engagement de notre responsabilité dans chacune des décisions prises, nos attentes et nos souhaits pour maintenir une médecine de qualité accessible à tous. Contrairement au message que vous tentez de faire passer, les médecins ne sont pas régis que par l’appât du gain, mais essentiellement par la qualité des soins et le bien-être de leurs patients... Vous faites fausse route sur toute la ligne. Votre politique de santé est pathétique.

Monsieur le ministre, vous ne méritez pas de nous représenter !

 1. « Leven en werken van Frank Vandenbroucke (archive) sur Site-Knack-NL, 24 septembre 2011 (consulté le 18 février 2021)

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Écrit par Dr Patrick De Moor29 octobre 2025

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